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Le barda

Publié le mercredi 23 juillet 2008.


Cet extrait est tiré du chapitre 13. L’homme moderne dans le corps du Caporal Vernay essaie d’en apprendre un peu plus sur ce soldat dont il ignore tout. Il fouille son sac. La description du contenu de ce sac a été faite à partir de carnets de guerre mais aussi, pour les produits d’entretien, à partir d’objets rencontrés dans des musées (l’Historial de Péronne, le Musée Vivant de Lorette), ainsi que de publicités trouvées dans des journaux ( " l’Illustration" par exemple).

Machinalement, j’ai attiré à moi mon sac qui me sert d’oreiller. J’ai sorti une bougie et des allumettes d’une poche de ma capote et dans le halo vacillant de la flamme, mes mains défont la sangle. Sans que je les commande, elles s’enfoncent dans cette accumulation d’objets, entassés, comprimés à l’extrême. Une à une, elles extirpent toutes ces choses qui finissent par recouvrir la toile de tente. J’assiste à ce travail de l’extérieur. Je les regarde faire et me demande, à chaque fois qu’elles plongent sans hésiter dans le sac, ce qu’elles vont découvrir et déposer devant moi. Dans le jeu d’ombre et de lumière que crée la bougie posée au ras du sol, mes yeux parcourent la variété d’objets étalés devant moi. Tous me redeviennent si familiers que la faible lueur suffit pour que je les reconnaisse tous. Il y a là le nécessaire de toilette, avec la savonnette, la glace et son couvercle en bois pivotant, le peigne, le peigne à poux, quelques flacons. A côté, de quoi entretenir l’équipement : deux brosses, une trousse de raccommodage avec une bobine de fil téléphonique, une boîte de teuf-teuf, une autre en forme d’obus. Je devine, la bouteille d’alcool de menthe qui luit étrangement au milieu des rations réglementaires que constituent les boîtes de singe, les douze biscuits, le sucre, les deux tablettes de café et celles de potage condensé. Il y a aussi une tablette de chocolat entamée. Tout autour s’étalent encore des morceaux de bougies, du fil, des épingles à nourrice accrochées sur une carte à jouer, une lampe électrique, des tablettes d’alcool, des couverts pliants ainsi que la montre aux chiffres phosphorescents dans son habillage de cuir. Les aiguilles sont arrêtées. Machinalement je la remonte. Elle se remet en marche et le tic-tac régulier me parle alors que je la colle à mon oreille. Je la remets à mon poignet sans en régler l’heure. En dessous, je trouve un livre à la couverture délavée, en partie rongée et imprégnée de pluie. Cyrano de Bergerac… Tandis que mes yeux se livrent à cet inventaire, mes mains ne s’attardent pas et vont fouiller l’empilement de linge d’ordonnance. Sortis d’une chemise de flanelle pliée serrée, apparaît un livret militaire une peu râpé. J’ai juste le temps de saisir un nom : VERNAY. Mais déjà, elles l’ont lâché pour se saisir d’un bonnet d’où elles sortent un paquet de lettres attachées par une grosse ficelle. Enfin, comme si elles avaient trouvé ce qu’elles cherchaient, elles s’immobilisent. Je les regarde, figées, un peu tremblantes alors qu’elles se serrent autour d’un gros portefeuille de cuir noir.

C’est une jeune femme. Elle sourit doucement, assise sur le parapet d’un pont de pierres. Le soleil l’éblouit un peu, elle tient sa main délicate au-dessus de ses yeux. C’est l’été. A côté d’elle, debout, accrochée à son jupon, une petite fille sourit également. Elle tient à la main une petite poupée de celluloïd. Le portefeuille contient encore d’autres clichés que mes mains feuillettent. Ce sont des portraits de photographe cette fois. La jeune femme, en gros plan prend une pose rêveuse dans un décor de colonnades grecques, la tête légèrement relevée, le regard dans le vague. Elle porte un chignon serré, mais quelques longues mèches viennent onduler le long de son cou dénudé jusque sur la dentelle de son chemisier. Elle est belle et paraît si douce. La petite fille apparaît sur la photographie suivante. Assise sur un tabouret, dans le même décor de carton pâte, elle fixe l’objectif du photographe d’un œil étonné. Son regard pétille, je la devine vive et intelligente. Elle n’a pas plus de deux ans. Sur une dernière image, la jeune femme se promène dans les rues d’une ville au bras d’un soldat. Ils se regardent tout en marchant et semblent tristes. D’une pochette du portefeuille, mes mains ont sorti deux mèches de cheveux délicatement liées par des cordons de coton. Une mèche blonde, celle de la petite fille puis une autre brune, celle de la jeune femme.


Le barda

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