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La deuxième bataille d’Artois

Publié le mardi 5 août 2008.


Le roman "Cabaret Rouge : Midi trente !" a pour cadre historique la deuxième bataille d’Artois. Plus précisément, l’action se déroule pendant les premiers jours de juin 1915 dans le triangle Carency, Ablain Saint-Nazaire, Souchez. L’article que je vous propose vous présente de façon très simple les enjeux, la localisation géographique et le bilan de cette bataille. Pour plus de précisions sur cet épisode de la guerre dans le Pas-de-Calais, je vous invite à vous reporter aux ouvrages ou sites référencés à la fin de cette page.

Selon des plans établis bien avant le début des hostilités, l’état- major allemand avait prévu de détruire rapidement l’armée française avant de se retourner contre la Russie. Ce plan échoue grâce à la victoire française lors de la bataille de la Marne au début de septembre 1914. Les deux armées tentent alors de se déborder mutuellement en remontant vers le Nord. L’état major allemand cherche également à gagner la côte pour préparer d’Anvers à Calais une base d’attaque contre l’Angleterre et compliquer le débarquement des renforts anglais. C’est la "course à la mer" (du 19 septembre au 15 octobre 1914) qui conduira les deux armées jusqu’aux sables des dunes de Nieuport (Belgique). Pendant la course à la mer, l’armée allemande s’empare du bassin minier lensois. Cette conquête lui assure la possession de très importantes réserves de charbon (les mines du Nord sont également prises) ainsi que d’un réseau de voies ferrées très dense permettant de relier les grandes villes du Nord, de Belgique et d’Allemagne facilitant ainsi le transport des troupes et du matériel.

Echouant dans la prise d’Arras à la fin de l’automne 1914, les Allemands dans leur léger mouvement de repli, s’établissent sur les collines dominant le bassin minier lensois (colline de Lorette et mont de Givenchy-côtes 119, crête de Vimy- côte 140).

Sur cette carte la ligne rouge figure la ligne de front au terme de la couse à la mer. L’échec de l’armée allemande dans les Flandres (bataille de l’Yser) et ses succès contre l’armée russe amènent l’état-major allemand à modifier sa stratégie initiale : désormais, il concentrera ses efforts contre la Russie et va verrouiller le front de l’ouest, laissant aux Français et aux Anglais l’initiative de l’attaque. Dans la région de Lens, d’octobre 1914 à mai 1915, les Allemands mettront en place de redoutables défenses sur les collines conquises (colline ou plateau de Lorette, mont de Givenchy, crête de Vimy).

La photo ci-dessous, tirée d’un article de l’Illustration montre le réseau de tranchées allemandes sur la colline de Lorette.

Dans un pays de plaine, ces collines dont la plus haute culmine à 160 mètres (colline de Lorette) constituent des obstacles difficiles à franchir.

Sur le cliché suivant, on mesure toute l’importance de la possession des collines : une fois franchie la crête de Vimy (côte 140), on débouche dans la plaine où se trouve le bassin minier lensois.

Entre ces collines dans les ravins, les allemands vont fortifier les villages (Carency, Ablain Saint-Nazaire, Souchez, Neuville Saint-Vaast) points de passage obligés de l’armée française.

Enfin, là où le terrain est plat, sans agglomération, ils construiront un réseau de tranchées et de souterrains garni d’abris en béton, de mitrailleuses et de canons de tranchées. C’est le "Labyrinthe", aux portes de Neuville Saint-Vaast.

En s’appuyant sur ces défenses, l’objectif des Allemands est de tenir ce front avec un minimum de soldats afin de pouvoir concentrer leurs troupes à l’est.

Dans la 2ème bataille d’Artois qui va s’engager, deux conceptions de la guerre vont s’affronter. Celle des Allemands qui ont envisagé depuis longtemps une guerre de position avec des défenses fixes très élaborées (tranchées, boyaux, abris bétonnés, postes de mitrailleuses, artillerie de tranchées, abris souterrains, etc... Bien avant la guerre, des espions ont décrit de tels dispositifs aux armées alliées) et celle des Français n’envisageant au début que la guerre de mouvement (admettre la guerre de position avec des défenses fixes, c’est accepter la présence durable de l’ennemi sur le sol de la Patrie !). A ce stade du conflit, les Français ont une artillerie essentiellement légère, ils ont tout misé ou presque sur l’artillerie de campagne, très mobile mais peu efficace pour détruire les défenses enterrées (canon de 75 mm). Malgré les échecs sur ce même front au début de l’hiver 1914 (première bataille d’Artois), ils croient qu’une percée avec reprise de la guerre de mouvement est possible.

La deuxième bataille d’Artois débutera le 9 mai 1915. En plus de la percée, le but de cette offensive est de mobiliser à l’ouest le maximum de troupes allemandes pour soulager l’armée russe et permettre la mobilisation de l’armée italienne.

Cette attaque est planifiée dès l’échec de décembre 1914 sur ce même front. Pendant des mois le terrain sera aménagé (mise en place de tranchées, de boyaux de liaison, de places d’arme, de postes de secours et de commandement, etc...). Le dispositif ennemi sera étudié à l’aide de reconnaissances aériennes minutieuses. L’artillerie sera renforcée avec des batterie d’artillerie lourde plus adaptée (mais en quantité insuffisante) à la destruction des ouvrages allemands. Et les troupes, progressivement amenées au voisinage de la ligne de front seront "motivées" avec la perspective d’une percée certaine.

Aux portes de Lens, l’attaque principale menée par trois corps d’armée a pour objectif la crête de Vimy. Latéralement une attaque au nord visera la crête de la colline de Lorette et l’éperon nord de Souchez suivie de la prise de la côte 119. Au sud, l’attaque portera sur les crêtes 96 et 93.

Le 9 mai, à 10H00, après plusieurs jours de "préparation" sporadique par l’artillerie puis 4 heures d’intense bombardement des lignes allemandes, les troupes françaises s’élancent hors des tranchées.

Par endroits, l’avancée est surprenante de facilité... Certains éléments traversent en moins de trois heures 3 ou 4 lignes de tranchées allemandes et atteignent la crête de Vimy (Légion Etrangère, Division Marocaine) ou le village de Givenchy (159ème). En ce point, la ligne est crevée !

Monument dressé sur la crête de Vimy, point de l’avance extrême de l’armée française le 9 mai 1915.

Hélas, cette avancée trop rapide ne permet pas à l’artillerie (terrain trop accidenté), ni aux renforts (basés trop loin) de suivre. Très vite des contre-attaques allemandes refoulent ces éléments vers l’arrière. Ainsi les chasseurs du 159ème, survivants de Givenchy, reculeront jusqu’au Cabaret Rouge, aux portes de Souchez.

Extrait de l’historique du 97ème Régiment de chasseurs alpins. Les réserves sont loin, maintenant les balles sifflent, plus nombreuses, les obus tombent sur les assaillants. A droite, le 159ème violemment contre-attaqué reflue vers l’arrière et de la côte 119 qu’il vient de reconquérir, l’Allemand mitraille la plaine. Le cimetière de Souchez devient intenable sous les obus et ses défenseurs se replient sur le Cabaret Rouge….

• Extrait de l’historique du 159ème Régiment de chasseurs alpins.

… Le front semble rompu, l’ennemi désorganisé. Mais l’artillerie dont la portée a été dépassée par la progression de l’infanterie, est obligée de se déplacer, et dans ce terrain bouleversé et coupé de tranchées, son mouvement est forcément très lent. L’infanterie ne peut se passer de son appui et doit ralentir sa marche : ce répit permet à l’ennemi de se ressaisir...

Sur certains points du front l’avance a été quasi-nulle. C’est le cas devant le terrible Labyrinthe que le bombardement a laissé presque intact. Revenons à quelques minutes du début de l’offensive en ce point du front au travers du témoignage du commandant du 26ème RI qui avec d’autres régiments va sortir des tranchées à 10H00 :

" Je constate d’autre part que si le bombardement est intense, il ne tape pas assez sur les premières lignes. La meilleure preuve c’est que n’ayant que ma tête nue qui dépasse au-dessus du sol, je suis cependant repéré par des guetteurs et des balles me sifflent aux oreilles une demi-heure avant le déclenchement de l’attaque. Je dois rentrer ma tête et observer au périscope. Le capitaine VANNIER vient pendant quelques instants prendre ma place sur l’échelle et observer au périscope. J’étais en bas de l’échelle en train de consulter ma carte, quand j’entends un claquement caractéristique, suivi d’un bruit de verre brisé dont je reçois les éclats sur la tête, et VANNIER dégringole rapidement les échelons. C’est une balle énnemie qui vient de briser le périscope à quelques centimètres au-dessus des yeux de mon capitaine-adjoint !!! Et nous sommes à dix minutes du déclenchement de l’attaque d’infanterie !! Je songe à mes pauvres Poilus qui vont déboucher sur un ennemi aussi vigilant. Que faire ? Rien ! Je n’en ai plus le temps."

( L’attaque se déclenche à l’heure prévue... et 10 minutes après 700 hommes du 26ème sont tués !)

" Ceux qui tombèrent blessés au moment de l’attaque, furent achevés systématiquement par les mitrailleuses ennemies, au cours de la journée. Tout blessé qui remuait était un homme mort."

(Le combat pour la conquête du Labyrinthe se prolongera pendant plus d’un mois...)

Tiré de "Les Gars du 26ème" Souvenir du commandant du 26ème, de la division de fer. Général H. COLIN , 1932.

Cette deuxième bataille d’Artois durera du 9 mai au 23 juin 1915 avec plus ou moins de constance.

La colline de Lorette sous le feu de l’artillerie lourde allemande vue depuis les toits de Lievin, le 19 juin 1915.

Au terme de cette offensive, les villages de Carency, Ablain Saint-Nazaire, la Targette, Neuville Saint-Vaast et le Labyrinthe seront repris ainsi que la colline de Lorette. La ligne de front aura été modifée par endroit de 3 ou 4 kilomètres. Le village de Souchez, le mont de Givenchy et la crête de Vimy restent solidement aux mains des Alllemands.

Entre le 9 mai et le 16 juin 1915, on estime à environ 100 000 les pertes françaises, blessés, tués, disparus confondus.

Si cette offensive n’a pas eu tout le succès escompté, elle a permis aux français de découvrir la redoutable organisation des défenses allemandes et pour la première fois, en certains endroits, d’en venir à bout.

Hélas, au cours de cette bataille, le manque cruel d’artillerie adaptée en calibre et en quantité aura obligé trop de soldats à courir inutilement à l’assaut de défenses (réseaux de barbelés, fortins, nids de mitrailleuses) quasiment intactes. Des dessins satiriques retrouvés dans les abris allemands montraient deux Allemands fumant la pipe et jouant aux cartes tout en fauchant avec une mitrailleuse des vagues d’assaut françaises.

Dans le roman "Cabaret Rouge : Midi trente !", l’homme moderne, prisonnier du corps du caporal Vernay, soldat du 159ème RI se retrouve au coeur de cette bataille, dans les premiers jours de juin 1915. Son parcours l’amène à découvrir ce front (visite de Carency repris, visite de l’église d’Ablain en ruine, scènes de tranchées, poste de secours,etc..) et l’arrière (cantonnement, enterrement, prison, etc...). Avec ses compagnons, Bonpain et Thérisse, il prend part à l’attaque du 16 juin destinée à relancer l’offensive qui s’enlisait sérieusement.

Voici dans les lignes suivantes un extrait de l’historique du 159ème décrivant les buts à atteindre ce 16 juin 1915.

L’attaque est fixée au 16 juin. Les objectifs successifs sont : les deux premières lignes de tranchées ennemies qui font face à notre front entre le carrefour du chemin ouest du bois des écouloirs à droite et le saillant sud-est du cimetière de Souchez. Le front compris entre le carrefour ouest et la corne nord-ouest du bois des écouloirs. La corne sud-ouest du bois de Givenchy et l’ouvrage de la Déroute.

Sur cette carte d’époque la marche prévue pour la section du caporal Vernay est signalée en rouge. Remarquez les tranchées allemandes en traits plus pâles sur l’image. La longue ligne dans le prolongement de la flêche rouge correspond au Boyau International.

Sur les images suivantes, qui représentent les lieux de cette attaque, on peut se représenter la topographie du terrain et imaginer la course des soldats du 159ème depuis les pentes du Cabaret Rouge vers le sommet du mont de Givenchy.

Ce jour-là encore l’attaque échoua. Les mitrailleuses allemandes tirant des tranchées ou des caves de Souchez firent beaucoup de victimes.

Seuls quelques éléments purent traverser le ravin (la vallée des Zouaves) et prendre possession d’une partie des pentes de la côte 119. Cette position très difficile à ravitailler (un seul boyau d’accès : le Boyau International) était continuellement mitraillée depuis Souchez et bombardée depuis Angres et le Bois de la Folie. Quelques jours plus tard, les Français finirent par l’abandonner pour revenir à leurs positions initiales.

La vallée des Zouaves que prenaient en enfilade les mitrailleurs allemands depuis Souchez.

Au cours de la troisième bataille d’Artois, débutant le 25 septembre 1915, la côte 119 sera reprise (la crête de Vimy restera allemande).

Un peu plus tard, les Français laisseront ce front à l’armée britannique qui récupéra la crête de Vimy au printemps 1917. Les mines du bassin minier lensois ne furent récupérées, consciencieusement dévastées par les Allemands, qu’à la fin de la guerre.



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