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Imprévoyances et absurdités

Publié le samedi 9 août 2008.


Voici, tirés de carnets de guerre ou de courriers, quelques passages édifiants soulignant l’imprévoyance ou l’absurdité qui régnait parfois au sein de l’armée française. On mesure l’héroïsme de ces soldats qui essayèrent de faire leur devoir malgré tout... On comprend aussi pourquoi il y eut tant d’échecs dans certaines offensives et pourquoi les pertes furent si élevées dans les premiers mois de la guerre.

Abriter les soldats.

- Quelques plaques de tôles, des planches placées en travers du boyau et recouvertes de terre auraient suffi pour nous faire un abri, sinon confortable, du moins suffisant, pour nous préserver du vent glacial et des averses. Mais non, là, comme presque partout ailleurs, rien n’avait été prévu, rien n’avait été ordonné, d’un quelconque colonel ou généralissime JOFFRE, pour abriter le bétail humain contre les intempéries.

- Il n’y avait en tout et pour tout qu’un seul abri, et encore avait-il été creusé par les Allemands qui voulaient établir une mine. Ce n’était qu’un escalier étroit, d’une quarantaine de marches, creusé sans étayage dans le sol crayeux. Au fond, un court et étroit couloir où les bougies ne voulaient pas flamber, l’air n’y pénétrant pas suffisamment (quarante hommes passèrent la nuit dans cet abri).

- A l’entrée d’Aix, nous suivîmes un grand boyau qui nous conduisit à un tronçon de route un peu encaissé, près du petit village en ruines de Noulette. Nous devions rester à cet endroit trois jours en réserve. C’était sans doute pour nous habituer au rugissement des canons, aux relents de chair pourrie, aux grosses mouches empoisonnées, aux poux, aux vers, aux rats. Tout ce qui grouille se repaît, immonde, dans les charniers. Contre le talus de la route, le génie avait creusé des abris recouverts de plaques de tôle et pouvant contenir une douzaine d’hommes tout au plus. Et où il fallut s’entasser une quarantaine. Bien entendu on ne pouvait se coucher, tout au plus s’accroupir, ne pouvant se remuer sans provoquer les plaintes des voisins. On ne pouvait sortir de cet étouffoir sans piétiner pieds, jambes et genoux et, là-dedans, l’air manquait, s’empoisonnait. Il y régnait une chaleur à faire éclore des poussins. Et pour comble, des débris de paille qui jonchaient le sol grimpaient le long de nos jambes, de notre échine, de nos bras, des légions de poux aux démangeaisons insupportables (…) Une maudite batterie allemande de 105 avait braqué ses pièces sur cette route prise complètement d’enfilade. Pour un homme s’aventurant dehors, même en rasant les talus, c’était aussitôt un 105 qui s’abattait.

- Enfin, à 10 heures du soir, nos remplaçants arrivèrent. Ils s’étaient égarés dans la nuit dans les boyaux changés en égouts. Et nous aussi nous nous égarâmes. Nous pataugeâmes 6 heures dans l’eau, dans la boue, faisant 15, 20 km peut-être, alors qu’il n’y avait pas un kilomètre en ligne droite pour atteindre une position de 3ème ligne, où nous venions passer 4 jours. Nous fûmes fort désappointés de constater qu’aucun abri n’existait. On y logeait à la belle étoile et au beau soleil. C’était la vie en plein air dans tout le sens du mot. Trempés jusqu’à la chemise de sueur et de pluie, transis à présent de froid, certains cédaient à la fatigue et même au sommeil, accroupis sur leur sac, ou couchés dans la boue. "Les carnets de guerre", de Louis BARTHAS.

Défense de tirer.

Je reconnais le commandant Renaud notre chef de corps : « Bonjour, dit-il. Rien de nouveau ? »
-  Mon commandant ces deux derniers jours, les Boches ont creusé une tranchée à la lisière du bois. Nous n’avons pas pu les en empêcher, il nous était défendu de tirer.
-  C’est bien, continuez. « Ceux de 14 », de Maurice GENEVOIS.

Les artilleurs et les fantassins.

Nous suivions la progression des obus qui nous précédaient de 60 mètres, et sautions allègrement la première, puis la deuxième, puis la troisième, puis la quatrième ligne des tranchées allemandes. Enfin nous arrivâmes au sommet de la crête (crête de Vimy côte 140), une poignée d’hommes, et, immédiatement notre propre artillerie se mit à nous pilonner. Nous avions poussé trop vite, nous étions en avance sur l’horaire. Messieurs les artilleurs n’étaient pas contents, on nous le faisait sentir.

Dès le début de l’action, les deux artilleries s’étaient mises de la partie. Mais, si le tir des Allemands était long pour empêcher l’arrivée du renfort français, ces putains de 75 ne nous rataient pas, eux. Et ce sont eux qui nous firent le plus de mal. Naturellement, aucune liaison avec l’arrière, ni par signal optique ni par téléphone. Et les coureurs ne revenaient pas. Je ne me souviens pas non plus d’avoir vu un seul de nos officiers. Mais quand nous redescendîmes à 86, ils étaient tous là au château de Ham. Un général vint même nous féliciter et distribuer au hasard sept croix de guerre, s’excusant de ne pas en avoir davantage. « La main coupée », de Blaise CENDRARS.

Prendre soin des blessés.

Cependant, de tous ces blessés, aucun n’osait aller au poste de secours. C’est qu’avec une brute comme le major TORRES, il ne fallait pas se présenter à lui avec une simple égratignure. On savait qu’il disait parfois à des blessés ou des malades : « Vous me porteriez votre tête dans les mains, que je ne vous reconnaîtrais pas. » Quitter la première ligne et ne pas être évacué ou reconnu, c’était risquer le conseil de guerre. "Les carnets de guerre", de Louis BARTHAS.

L’attaque de Farbus.

Le 26 septembre 1915. Le commandant lisant à haute voix, je saisis quelques lambeaux de phrases significatives. Le 280ème prendra le boyau de la targette. L’attaque de Farbus sera poussée à fond. Un quart d’heure après, le 280ème s’acheminait par les boyaux vers les premières lignes. On traversa le village en ruines de la Targette puis on s’empêtra dans un enchevêtrement de boyaux, passant et repassant aux mêmes endroits, sans pouvoir trouver la bonne voie. On croisait des hommes isolés ou en petits groupes, s’en allant vers l’arrière. A nos questions, la plupart ne répondaient pas, d’autres s’exclamaient : « pauvres gars, pauvres gars ! », ou bien : « c’est horrible, c’est épouvantable ! » ils s’emblaient à moitié fous. De Farbus, personne n’en avait entendu parler. Bientôt les bataillons, les compagnies s’entremêlèrent dans une confusion inextricable. Et le régiment n’atteignit les premières lignes que vers une heure du matin, dans un état de fatigue extrême, car il y avait neuf heures que nous n’avions pas quitté le sac de sur nos épaules endolories (Le sac du fantassin pèse 35 kg). Le régiment se replia sur Neuville Saint-Vaast où nous arrivâmes à l’aube. Depuis quatre heures du soir la veille, nous cheminions dans les boyaux boueux. Quatorze heures pour faire un trajet qui en ligne droite aurait pu s’effectuer en une heure et demi. "Les carnets de guerre", de Louis BARTHAS.

L’attaque de Farbus, les mêmes, le lendemain, à la même heure…

Le 27 septembre 1915. Les officiers survenant brusquement faisaient mettre sac au dos et, dix minutes après, par trois boyaux différents, le régiment s’achemina allègrement vers Farbus, où nous allions déferler comme une trombe. Mais nous avions fait à peine 500 mètres, que l’on s’arrêta longuement. A un carrefour de boyaux, où nous étions arrivés trop tôt ou trop tard, il fallait laisser défiler tout un bataillon de notre régiment. On repartit presque en courant pour s’arrêter à nouveau, et reculer même s’entasser dans un boyau en cul de sac, pour laisser passer des unités qui étaient relevées. Et pendant plusieurs heures, ce fut ainsi. Arrêt, recul et départ précipité. La nuit était venue et la pluie aussi, qui tomba en fortes averses et nous trempa jusqu’aux os, glissant, trébuchant, butant dans ces boyaux boueux. Ah, nous étions jolis pour monter à l’assaut de ce satané Farbus. "Les carnets de guerre", de Louis BARTHAS.

Errements…

Le 24/12/16. Ma chérie : aujourd’hui 24 Réveillon ! Ah ! Il est joli ! Nous sommes partis hier matin et nous sommes revenus au village où nous étions avant de partir, arrivés là on nous dit que nous remontons en ligne. Nous étions fourbus, mouillés, tu parles si nous étions contents ? Enfin tout de même nous avons couché ici et nous attendons les ordres à l’heure actuelle, qu’allons-nous faire ? C’est honteux, après toutes les peines que nous avons eues, de nous faire trimer ainsi. A part ça, je ne vais pas trop mal, mais j’en ai par-dessus la tête toujours rien de nouveau au sujet auto( ?). C’est long. J’ai écrit à Annonay et j’ai envoyé un mot à M. HILAIRE. Extrait de lettre auteur inconnu.

L’instruction des soldats.

Nous fûmes réunis dans la salle d’école. Le général nous reçut, tout souriant, tout réjoui, tout guilleret. Ce n’était plus le terrible batailleur, ne rêvant que plaies et bosses, assauts et combats. « Allons disait-il en clignant de l’œil, vous êtes tous de solides gaillards, avec des hommes comme vous, on peut faire quelque chose. C’est bien, je suis satisfait de votre bonne mine et de votre tenue. » Et, devant un tableau noir, la craie à la main, Nielsel nous expliqua pendant deux heures la manière de faire des travaux d’approche pour enlever un petit poste, une tranchée, s’approcher de l’ennemi pour y jeter des grenades. Et à chaque phrase il concluait : « C’est bien simple. » Puis, Nielsel daigna nous remercier de notre attention forcée et s’en fut à son château. Persuadé sans doute qu’il avait excité en nous notre ardeur guerrière, et nos sentiments patriotiques. "Les carnets de guerre", de Louis BARTHAS.



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