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Cantonnement dans un village

Publié le mercredi 23 juillet 2008.


Ces deux extraits sont tirés des chapitres 12 et 13. Le héros, dans le corps du caporal Vernay est emmené par ses deux amis Thérisse et Bonpain dans une grange où cantonnent des soldats du 159ème RI. Les soldats reviennent de plusieurs jours en première ligne. C’est le début du mois de juin 1915. Le front est à quelques kilomètres de là. Un peu plus tard, le lieu du cantonnement devient plus rustique ! Tout cela est bien entendu basé sur des témoignages d’époque.

Extrait n°1

Nous avons quitté la rue principale où l’interminable défilé se poursuit. Sans prêter attention aux détails des rues étroites que nous empruntons, je me laisse guider par mes compagnons jusqu’à la cour d’une ferme toute proche. Là, je retrouve la grange aux murs de torchis crevés par endroits et à la toiture fatiguée. Sans hésiter, nous poussons la porte branlante et entrons. Sitôt le seuil franchi, je suis frappé par l’odeur qui règne dans cette pénombre. Une odeur dense comme un mur. Je me heurte d’abord à ce paquet d’effluves indissociables d’une troupe au cantonnement, puis, très vite, sans savoir pourquoi, cela me rassure comme une sensation bien connue, presque attendue. Nous nous enfonçons alors dans la foule de ces ombres d’hommes. Ils sont nombreux, assis, couchés ou bien allant et venant doucement à la lueur de rares bougies, dans un désordre de matériel épars. Au dessus de nos têtes, on distingue à peine la charpente branlante sur laquelle est posée la vieille couverture de tuiles ajourée. La paille que nous foulons et qui bruit sous les mouvements des occupants sent la pourriture. Les pluies d’orage doivent l’arroser copieusement à travers ce toit devenu symbolique. En gagnant le mur du fond, dérangeant parfois du pied un bouthéon ou un havresac, je saisis des images qui me redeviennent familières. A nouveau, le miracle s’opère ; des noms et des souvenirs me reviennent peu à peu. Le grand Mathieu enfile une chemise propre. Celle qu’il garde toujours immaculée au fond de son sac. De la troisième escouade, je reconnais Ledieu et Jeanlin. Penchés autour d’une bougie fichée sur une boîte de singe, ils recousent les boutons de leur veste. Je dépasse un grand type courbé sur son barda qu’il fouille en jurant. Face à lui, son copain, perdu dans ses pensées, attend de pouvoir moudre le café, la main sur son moulin. Ces deux-là nous font ricaner à vouloir toujours snober le jus des cuistots de la compagnie. De tous côtés, les attitudes, les visages me reviennent et me parlent. Nous avons traversé le feu. Nous sommes de nouveau au cantonnement et ceux qui sont là, ceux qui en sont revenus, répètent comme si de rien n’était les mêmes gestes, s’adonnent aux mêmes petits rituels. Et tout cela rassure et donne une impression de chez soi…

-  Faut pas te gêner bec de veau ! Je lève les yeux et avise contre le mur du fond Bonpain qui apostrophe ainsi la forme couchée à ses pieds dans la paille.
-  C’est la place du caporal. Va t’installer ailleurs !
- Oh, ça va, passe la main ! réplique l’autre mollement tout en se dérangeant. Je le vois se lever pour aller s’affaler, à quelques mètres de là, happé par l’ombre.
- Tout de même, y en a qui sont gonflés, fait Bonpain, se tournant vers moi, la mine épanouie. Allez, installe toi, ferme les yeux et tends la main, Thérisse va te déballer la surprise ! Contrastant avec le fumier qui couvre la majeure partie du sol, la place qui m’est proposée est garnie d’une bonne brassée de foin sec, presque odorant, que recouvre une toile de tente. Un vrai lit !

Extrait n°2

Une secousse m’a tiré de mon sommeil. A côté de moi, Thérisse s’est débattu au milieu d’un rêve. D’une voix molle, sans force, il poursuit quelques instants un monologue incompréhensible puis brusquement, se retourne dans un soupir. Mon couvre-pied de laine rejeté, assis dans l’obscurité, je peine à rassembler mes idées. De temps en temps, on entend le couinement d’un rat qui furète au dessus de nos têtes. Dehors, une chouette hulule. Son cri, traversant l’espace, rend plus profonde la nuit qui nous entoure. Il n’y a qu’à écarter les bras pour mesurer l’exiguïté de l’espace où nous sommes. Des murs bas nous enserrent. A l’odeur persistante qui se dégage de cette maçonnerie grossière, le doute n’est pas possible : nous sommes couchés dans la soue d’un cochon, au fond d’un minuscule appentis. Le précédent locataire a disparu depuis peu. Peut-être a-t-il fui avec son propriétaire, lui-même délogé par les troupes qui cantonnent dans cette ferme ? Peut-être a-t-il alimenté une des nombreuses cuisines de compagnies qui fleurissent un peu partout dans le village ? Peu importe. Nous avons été bien heureux de pouvoir nous caser ici hier soir après l’incident dans la grange. Je m’étire en geignant. Mon dos, mes bras, mes jambes, tout mon corps me fait mal. Il n’y a pratiquement rien pour nous isoler du sol tapissé de briques humides. Lentement, le cafard m’étreint. La tristesse, comme l’encre dans une eau claire coule doucement dans mon âme et la teinte de noir


Cantonnement dans un village

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