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Le petit déjeuner au cantonnement

Publié le lundi 28 juillet 2008.


Cet extrait est tiré du chapitre 14. Le héros s’est mis à l’écart dans le pigeonnier de la cour de ferme où cantonne sa compagnie. De son poste d’observation, il observe les hommes qui s’éveillent et prennent leur premier repas de la journée.
Le jour s’est levé. Les premiers rayons de soleil viennent m’atteindre dans mon grenier s’infiltrant par les ouvertures laissées par les tuiles manquantes. Sous mes pieds, entre les planches, montent jusqu’à moi les froissements de plumes. Les rares pigeons rescapés du braconnage des poilus commencent leur journée. Dans la cour, quelques hommes s’affairent. La majorité des soldats dorment encore dans les granges mais au pied de la tour, les cuistots sont à l’ouvrage. J’entends par moments leurs bruits tandis que me parviennent des relents de feu de bois, de café et de viande grillée. En me haussant un peu, je peux les apercevoir. Assis, les mains dans les poches, le béret enfoncé au ras des yeux, je les vois pensifs devant les grandes cuves noires posées sur les flammes dans lesquelles chauffent des litres de café. A côté, sur une large couverture posée au sol attendent de nombreuses boules de pains encore liées entre elles par une ficelle. De temps à autre, l’un d’eux se lève en crachant une giclée de salive noire puis, soulevant l’un après l’autre les couvercles des cuves, il mélange le breuvage fumant à l’aide d’un long bâton. La suie ou la crasse sur ses joues et ses mains, le pittoresque de l’installation font penser un instant à une scène de cuisine dans un village africain comme on en voit dans les revues. Avant de se rasseoir, il retourne à la main les quelques tranches de bœuf disposées sur une grille au-dessus des braises. Un à un, des poilus sortent des granges. Je les aperçois, encore embrumés de sommeil, tête nue, hésitant à la lumière sur le pas de la porte. Immanquablement, leurs premiers pas de la journée les mènent vers l’alignement de marmites. Certains n’attendent pas la distribution. Après quelques mots échangés avec les cuisiniers, ils se servent en plongeant leur quart dans une des cuves. Les moins délicats en ressortent la main dégoulinante de café. La plupart vont ensuite s’asseoir sur des bancs de bois grossiers dans le coin déjà ensoleillé de la cour. Alors, les yeux mi-clos, ils plongent leurs lèvres dans leur quart. D’autres, plus rares, s’en retournent vers la grange, mesurant leurs pas pour ne pas répandre leur précieux liquide. Les gestes de tous sont lents, les physionomies lasses et sans joie. Parfois, des bribes de conversations m’atteignent. Les voix s’élèvent graves et sans éclat. Cette première nuit loin des tranchées de première ligne, sans marche, sans corvée n’a pas suffi à chasser la fatigue de ces corps accablés. Quand je les regarde ainsi, voûtés et flétris, tous semblables dans leur morne attitude, je ne peux leur donner un âge. Peut-on croire que ces êtres là n’ont, pour la majorité, guère plus de 25 ans ?

Le petit déjeuner au cantonnement

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