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Bombardement d’une tranchée Française

Publié le mercredi 23 juillet 2008.


Ce texte est tiré du chapitre 10. L’homme moderne "s’éveille" dans la peau du caporal Vernay au moment où les Allemands simulent une attaque. Celle-ci a pour objectif de juger de l’occupation d’une tranchée française pour ensuite la bombarder et tuer un maximum de défenseurs. Quelques secondes après l’arrivée des premiers obus, une batterie de canons de 75 français entame, en représailles, un bombardement de la tranchée allemande. La scène se situe au coeur de la bataille d’Artois fin mai 1915.
Un cri. « Ils arrivent ! » vient de hurler une voix près de la porte. Aussitôt tout autour de l’abri, une seule et même détonation retentit. Ce n’est pas un coup de feu, mais dix, vingt, cent peut-être, lâchés à la même seconde. L’air est alors déchiré par le vacarme des fusils qui tirent frénétiquement, en désordre. Soudain, au milieu du tumulte, s’élèvent réguliers et méthodiques les coups d’une mitrailleuse. La pièce est toute proche à en juger par le bruit qu’elle fait. Peu à peu, de ses coups pressés et autoritaires, elle prend le pas sur le tintamarre qui l’environne et semble donner de l’ordre à l’ensemble. Sans savoir comment, je me retrouve contre le parapet au milieu des hommes. Eux aussi, je les reconnais. Ce sont les hommes de mon escouade. Un fusil à la main, je me presse contre un créneau pour me rendre compte de la situation. A gauche, à quelques mètres, sur sa plate-forme surélevée, la mitrailleuse vient de cesser le tir, de part et d’autre, quelques coups partent encore en désordre. Devant moi, j’avise au loin le remblai de terre de la tranchée allemande. Rien ne bouge…
-  C’est encore une feinte, les gars ! Cessez le tir ! Je viens de m’entendre crier cela à mes voisins et, de fait, ceux qui m’entourent, lâchent aussitôt la gâchette de leur arme.
-  Qu’est-ce qui z’ont derrière la tête aujourd’hui ?
-  T’as pas encore compris ? I’s vont nous sonner ! dis-je sans leur jeter un regard. Et, quittant précipitamment ma place, je m’entends à nouveau crier aux hommes qui m’entourent : « Tout le monde aux abris ! ». Les hommes ont à peine bougé de leur place que déjà fondent sur nous des rugissements tombant du ciel. D’instinct, j’empoigne le type qui passe devant moi et le force à se coucher au moment où la salve s’abat. Elle tombe dans un fracas métallique sur la lèvre de notre fossé. Je vois l’espace d’un éclair, la paroi de la tranchée gonfler démesurément puis se disloquer ensevelissant les hommes qui se trouvent là, sous des mètres cubes de terre et de débris. Enveloppé par le nuage noir puant la poudre, je fais un effort pour me remettre debout, tirant par le col, le pauvre bougre qui geint et à qui je viens sans doute de sauver la vie. Au milieu des cris et des appels à l’aide, s’élèvent à nouveau les voix monstrueuses au-dessus de nos têtes. Pour la deuxième, fois notre tranchée est touchée de plein fouet.
-  Comment font-ils pour être aussi précis ? me dis-je en moi-même. Cette fois c’est l’abri d’où je viens qui a été touché. Un coup au but. J’ai aperçu un corps monter à dix mètres en tournoyant. Derrière nous, des batteries de canons viennent de se réveiller brusquement. Furieuses, elles tonnent toutes à la fois et crachent avec frénésie une pluie d’acier qui nous survole en miaulant. Leurs voix sèches et rageuses nous rassurent un instant. C’est pour nous défendre qu’elles aboient de la sorte. Mais notre situation empire ; les coups frappent de plus en plus serrés. Il devient difficile de distinguer les sifflements des arrivées au milieu des explosions. Nous cherchons un abri qui ne soit pas effondré ou déjà rempli de poilus. Nous nous cognons les uns aux autres. Nous jurons ou gémissons en cherchant désespérément un trou où disparaître. Une salve me propulse soudain en l’air en même temps que le poste de mitrailleuse. Sans savoir comment, je me retrouve vivant, à quatre pattes sur le remblai de la tranchée.
- Y vont me descendre comme une pipe à la foire ! me suis-je dit en me jetant à nouveau dans la fosse retombant sur le dos d’un soldat. Au milieu du vacarme assourdissant, je suis sûr d’avoir entendu les boches me tirer dessus. Avec un sang froid et une efficacité qui m’étonnent, je me vois ramasser deux types recroquevillés sur le sol et les pousser avec vigueur dans l’entrée d’un abri. A l’intérieur, nous sommes une dizaine à nous écraser dans le désordre. Il faut du temps pour que chacun trouve sa place, assis le long des parois, les bras serrés autour des genoux. Le bombardement ne faiblit pas, ni d’un côté ni de l’autre. Il y a encore des hommes dehors, parfois l’un d’entre eux se présente à l’entrée de l’abri bondé et tente à toute force de s’y glisser. Trois hommes en viennent aux mains. Ils se battent à l’entrée du trou pour pouvoir s’y maintenir. Il n’y a pas assez de place pour eux. Et tout à coup, au milieu du tumulte, nous devinons par la note tant redoutée, que la salve cette fois nous tombe droit dessus. Le temps s’arrête. Les trois hommes ont dû se figer et lever les yeux au ciel. C’est comme si le tonnerre entrait par la porte pour nous écraser de son souffle brûlant. C’est un miracle que nous ne soyons pas tous morts, enterrés vivants ou criblés d’éclats ! L’obus n’a sûrement pas explosé en face de l’ouverture. A bout de souffle, le cœur battant à se rompre, je jette un regard sur le soldat qui me fait face. Il pleure… Je n’ose regarder l’entrée de l’abri. Je sais d’avance ce que je vais découvrir. Je fixe, fasciné, ce bras rouge, coupé au niveau du coude qui traîne entre nos souliers. Dans la boue et les détritus, chaque éclair me le révèle. J’ai l’impression qu’il vit et se déplace….

Bombardement d’une tranchée française

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